| Extrait 
                    de Moyens d'Accès au Monde (Introduction 1 : Prélude 
                    en Réquiem) - Editions du Bord de l'Eau - 2005 " 
                    L’Humanisme, l’esprit des Lumières (Aufklärung) 
                    dont la tâche était précisément 
                    de démasquer le cynisme a lui aussi été 
                    intégré aux discours hypocrites. Il sert aujourd’hui, 
                    comme l’ont fait en leur temps les dieux ou la raison 
                    d’Etat, de justification à son propre contraire. 
                    Si les cyniques éclairés par  l’Aufklärung, 
                    riches de leur savoir, ne se laissent plus tromper par les 
                    idoles d’autrefois, ils les emploient maintenant afin 
                    de mystifier les autres. Sous le masque humaniste, démocrate, 
                    rationnel, mathématique, républicain ou laïque, 
                    on mène des guerres, on aliène des peuples, 
                    on cultive l’hystérie, on suborne les jeunes 
                    filles, on fait carrière ou on mène sa campagne. 
                    Grâce aux humanistes cyniques, l’art d’apparaître 
                    authentique et de bonne foi est devenu si subtil que nos « 
                    radars » humanistes ne détectent plus les impostures. 
                    Quand bien même les détecterions-nous, comme 
                    par l’effet d’un sixième sens viscéral, 
                    nous ne serions pas capables de les dénoncer d’une 
                    manière pertinente puisque nos mots – ceux de 
                    la critique humaniste – sont également devenus 
                    les mots des pouvoirs cyniques à l’œuvre. 
                    Aux anciens slogans révolutionnaires tels que « 
                    Vive la République », « Vive la Liberté 
                    », « Vive les citoyens », le cynisme moderne 
                    répond « Oui bien sûr! » et ne s’offusque 
                    plus. De ces slogans il a même fait son programme, s’assurant 
                    ainsi que son fond de commerce humaniste et démocratique 
                    n’est nullement menacé. A un œil perçant de poète ou d’enfant, 
                    lavé de tout psychologisme, cyniques et matois se dévoilent 
                    pourtant. Pour qui sait encore voir, leurs visages trahissent 
                    l’acrimonie. En vérité, ils n’ont 
                    plus de visage. Ils se sont fait un masque de toutes leurs 
                    trahisons et de tous leurs mensonges. Regard dur et sourire 
                    méprisant, lèvres tendues et sèches, 
                    joues tombantes et peau glabre, obésité suffisante 
                    ou maigreur hypocrite. Le cynisme use son homme, comme les 
                    diables rieurs usent les signataires de leurs contrats truqués. 
                    Les cyniques se déforment – pour de vrai ! – 
                    comme la figure horrible du portrait de Dorian Gray. En eux 
                    a disparu la luminosité, signe de reconnaissance des 
                    derniers êtres vivants ".
  
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